Le fundraising universitaire traverse une transformation radicale. Les chiffres de 2025 révèlent un paradoxe inquiétant : les universités lèvent des montants records, mais perdent des milliers de donateurs. Sandra Bouscal (ex-Fondation Dauphine), experte en philanthropie universitaire analyse cette tendance et partage ses stratégies pour naviguer ce nouveau paysage.
Un constat alarmant : la philanthropie se concentre dangereusement
Les données du Fundraising Effectiveness Project (FEP) publiées en juillet 2025 dressent un tableau paradoxal. Au premier trimestre 2025, les fonds collectés par les organisations à but non lucratif ont augmenté de 3,6% par rapport à 2024. Une bonne nouvelle ? Pas si vite. Dans le même temps, le nombre de donateurs a chuté de 4,5%.
Au deuxième trimestre, la tendance s’est confirmée avec une hausse de 2,9% des dollars collectés, mais une baisse de 1,9% du nombre de donateurs, avec une chute dramatique de 10,5% chez les petits donateurs donnant entre 1 et 100 dollars.
“C’est exactement ce que j’observe sur le terrain depuis plusieurs années”, confirme Sandra Bouscal, consultante en fundraising qui a notamment dirigé la transformation de la fondation de l’Université Paris-Dauphine pendant six ans. “La philanthropie se concentre de plus en plus sur les grands donateurs, et c’est à la fois une opportunité et un piège.”
Les chiffres sont sans appel : les grands et méga-donateurs (donnant plus de 5 000 dollars) représentent désormais plus de 75% de tous les fonds collectés en 2024, selon le rapport annuel du FEP. À l’inverse, les petits donateurs, qui constituent 50,8% de la base de donateurs, ont vu leur participation chuter de 8,8%.
Le cas particulier de l’enseignement supérieur
Pour les universités, cette tendance prend une dimension encore plus critique. Le secteur de l’éducation a enregistré une croissance impressionnante de 13,2% en 2024 selon Giving USA 2025, atteignant des records historiques. Pourtant, une enquête U.S. News & World Report 2025 révèle que seulement 7,7% des alumni donnent à leur alma mater.
“En France, la situation est encore plus préoccupante”, analyse Sandra Bouscal, forte de ses 30 années d’expérience dans le fundraising universitaire, dont 11 ans à l’INSEAD, 7 ans à HEC et 6 ans à Dauphine. “Nous dépendons à 87% du mécénat d’entreprise selon les études du secteur. La culture du don des anciens élèves est quasi inexistante comparée aux universités anglo-saxonnes.”
Cette dépendance aux grands donateurs institutionnels rend les universités françaises particulièrement vulnérables. Comme le souligne le rapport CCS Philanthropy Pulse 2025, 81% des institutions d’enseignement supérieur ont vu leurs revenus augmenter, mais cette croissance repose sur une base de plus en plus étroite. Le secteur a reçu 58 milliards de dollars de dons annuels selon les dernières données CASE.
Sandra Bouscal Dauphine, un cas d’école
L’expérience de Sandra Bouscal à Dauphine illustre parfaitement comment naviguer ce paradoxe. Quand elle prend les rênes de la fondation en 2016, celle-ci lève péniblement 2 millions d’euros par an avec 18 salariés, en se concentrant principalement sur du marketing direct et des petits dons.
“On passait un temps fou à aller chercher des dons à 50 ou 100 euros”, se souvient-elle. “C’est très important pour la durabilité, mais en termes d’efficacité, si vous voulez avoir un impact qui ne dure pas 15 ans, il faut aller chercher des grands donateurs.”
Sa stratégie ? Restructurer radicalement l’approche. L’équipe passe de 18 à 10 personnes, recentrée sur son cœur de métier : la collecte de fonds. Mais surtout, Sandra Bouscal professionnalise la démarche grands donateurs. Résultat : en six ans, la fondation double sa collecte pour atteindre 4 millions d’euros annuels, avec trois dons à 500 000 euros – alors que Dauphine n’avait jamais dépassé les 50 000 euros auparavant.
“Il n’y avait pas de formule magique”, explique-t-elle. “Simplement une professionnalisation de l’approche. Quand vous demandez à quelqu’un de donner 500 000 euros ou un million d’euros, vous n’allez pas structurer votre proposition de la même manière que quand vous demandez 50 euros.”
La stratégie pyramidale : ne pas choisir entre les deux
Face à cette concentration des dons, la tentation serait d’abandonner les petits donateurs pour se concentrer exclusivement sur les grands. Une erreur stratégique majeure, selon Sandra Bouscal.
“C’est le principe de Pareto appliqué au fundraising : vous allez lever 80% de vos revenus avec 20% de vos donateurs”, explique-t-elle. “Mais ces 20% de grands donateurs viennent souvent du flot des 80% de petits donateurs. Si vous ne cultivez pas votre base, vous n’aurez plus de pipeline de grands donateurs demain.”
Cette approche pyramidale nécessite une structuration différenciée. Pour les petits dons, l’objectif est la fidélisation et le développement du sentiment d’appartenance. Pour les grands donateurs, il s’agit de propositions transformatrices, alignées sur la stratégie institutionnelle.
L’exemple du don Mohed Altrad à Dauphine illustre cette approche. “C’était un ancien élève qui n’avait fait qu’un an à l’université et n’avait jamais été cultivé”, raconte Sandra Bouscal. “À l’occasion des 50 ans de l’université, on s’est dit qu’il fallait tenter quelque chose. On a activé le bon levier – son besoin de reconnaissance – et structuré une proposition à sa mesure. Ça a été assez rapide.”
Cinq actions concrètes pour 2025
Face à cette nouvelle réalité du fundraising, Sandra Bouscal recommande cinq axes stratégiques aux universités :
1. Professionnaliser l’approche grands donateurs “Il faut des équipes dédiées, formées, avec une méthodologie claire. Ce n’est pas juste une question de réseau, c’est une compétence professionnelle.”
2. Maintenir l’investissement sur les petits donateurs “Le marketing direct, les dons réguliers par prélèvement automatique, c’est votre pipeline de demain. Les données sectorielles 2025 montrent que les dons mensuels représentent maintenant 31% des revenus en ligne et continuent de croître.”
3. Développer la culture du don dès les études “Aux États-Unis, 8% des étudiants actuels donnent déjà via des campagnes de crowdfunding selon Cornell University. En France, c’est quasi inexistant. Il faut intégrer la philanthropie dans l’expérience étudiante.”
4. Structurer l’offre selon les motivations “Chaque donateur a ses propres motivations. Certains cherchent la reconnaissance, d’autres l’impact transformateur, d’autres la transmission. Il faut comprendre ces leviers pour structurer les bonnes propositions.”
5. Embarquer la gouvernance “Sans un projet institutionnel clair et une direction engagée, aucune stratégie de fundraising ne peut réussir. C’est l’alignement des planètes qui fait la différence.”
Un impératif : diversifier pour durer
Le rapport FEP 2025 lance un avertissement clair : la concentration actuelle des dons sur les ultra-riches crée une fragilité structurelle pour le secteur. Les taux de rétention des donateurs ont baissé pour la cinquième année consécutive, passant de 18,3% en 2024 à 18,1% au premier trimestre 2025.
“On ne peut pas bâtir un modèle durable uniquement sur les méga-donateurs”, insiste Sandra Bouscal. “Aujourd’hui, avec mon expérience à l’INSEAD, HEC, Dauphine et maintenant mes missions de conseil, je vois que les institutions qui réussissent sont celles qui ont une stratégie équilibrée : elles cultivent leurs grands donateurs tout en maintenant une base large et engagée.”
L’enseignement supérieur français a une carte à jouer. Avec 58 milliards de dollars de dons reçus annuellement par les universités américaines, le potentiel de croissance est immense. Mais cela nécessite une transformation profonde des mentalités et des pratiques.
“Les fondations universitaires françaises ont seulement 18 ans d’existence”, rappelle Sandra Bouscal, qui a participé à cette révolution depuis ses débuts. “On a encore tout à construire. C’est une chance : on peut apprendre des erreurs des autres et bâtir un modèle plus équilibré, plus inclusif, plus durable.”
Face au paradoxe de 2025 – plus d’argent mais moins de donateurs – les universités qui réussiront – à l’instar de l’Académie Charpentier – seront celles qui sauront professionnaliser leur approche des grands donateurs sans sacrifier leur base philanthropique. Un équilibre délicat, mais essentiel pour l’avenir.













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